reviewed in Abstracta Iranica, 2002.

Book Review

David J. Roxburgh, Prefacing the Image : The Writing of Art History in Sixteenth-Century Iran, Leiden, E.J. Brill, 2000

"Ceci est un livre sur la préface d'album [calligraphique, de miniatures et d'enluminures] (dîbâcha), une catégorie importante, mais négligée de sources qui note les noms des maîtres de la tradition artistique persane et les organise dans une histoire de l'art. Les préfaces expriment aussi la vision d'une culture sur les procédés, principes et pratiques de l'art et donnent une idée de quelques-uns de ses critères de jugement. Elles étaient préscriptives de plusieurs manières : elles définissaient des canons esthétiques et nommaient des maîtres clé pour chaque forme d'art ; elles établissaient la valeur du contenu des albums à travers l'utilisation des métaphores et des associations et par extension définissaient aussi les critères de réception de l'album. Leur rôle était d'introduire une gamme de matériaux disparates arrangés dans l'album et des participants clé impliqués dans sa conception et sa réalisation." (p. 2)

"Dix préfaces écrites en persan entre les années 1491 et 1609, à Herat, Tabriz, Qazvin, Mashhad et Bukhara, forment le cœur de ce livre. Neuf parmi elles ont été composés pendant le premier siècle de l'époque safavide (r. 1501-1732 en Iran) [une seule datant de la période timuride tardive (dynastie régnant de 1370 à 1506)]. Elles apparaissent dans les albums de format codex (muraqqa'), une collection reliée de calligraphies, peintures et dessins, disposées sur des pages et encadrées par des marges décorées. En produisant l'album, le compilateur, qui était souvent aussi l'auteur de la préface, supervisait la sélection et la préparation des matériaux, inclusivement leur restauration, leur recadrage, leur décoration avec des enluminures, des réglures et des à-plats colorés, et leur arrangement dans la page. Parfois le patron de la préface était directement impliqué dans sa production, qui sous beaucoup d'aspects allait de pair avec les techniques de fabrication des manuscrits. Aux débuts du XVIe siècle les manuscrits n'étaient plus conçus comme un ensemble des folios ordonnés, mais plutôt comme un ensemble de pièces de collection, chaque page étant à son tour un patchwork. Habituellement le compilateur assemblait l'album à la requête d'un patron royal ou d'un courtisan de haut rang. Lorsqu'il était achevé, des membres de la court formaient une audience d'arbitres, dont certains étaient aussi des praticiens, qui allait se réunir pour contempler son contenu - calligraphies, peintures, dessins et enluminures - et le discuter." (p. 3)

La substance de presque 300 pages de cet ouvrage est résumée avec une admirable concision dans les deux paragraphes précédents par l'auteur lui-même, qui nous donne ainsi un bel exemple du style technicisant, non-superflu, caractérisant nombre des textes en sciences humaines produits aux états-Unis.

En adoptant ce mode de pensée, Roxburgh réussit a extraire le fonctionnement abstrait, le software qui fait bouger le sujet traité - et par là intéresser un public beaucoup plus large. Car son ouvrage n'est pas seulement sur les préfaces d'album, mais aussi sur les calligraphes et les peintres, l'art, la littérature, l'esthétique et la société persane de l'époque, avec des ramifications vers l'Europe et la Chine.

Le livre commence par une perspective sur le traitement traditionnel de ces textes par les chercheurs, plus intéressés au cours d'une bonne partie du siècle écoulé par des questions d'attribution et de classification que par leurs dimensions historiques, culturelles, littéraires et physiques.

Il s'ensuit avec le cadre et la vie des auteurs (des hommes d'état, des notables, scribes de chancellerie et artistes, tous versées à des divers degrés en calligraphie et en poésie). La montée de la littérature historiographique d'art est expliquée par la longue histoire des préfaces littéraires, l'apparition et le succès des albums et la coexistence au sein des milieux sociaux et dans un seul et même individu des artistes visuels et des artistes de la parole.

Contrairement au livre qui se consume la plus part du temps individuellement, la création et l'utilisation des albums est considérée comme une forme de socialisation et le troisième chapitre s'attache à démontrer ses mécanismes. Bien que l'ordre des spécimens à l'intérieur de l'album puisse être un à propos, il ne suit pas un modèle fixé, cherchant surtout a surprendre (ta'ajûb) par l'agencement du florilège. Il est en effet employé comme un parmi les nombreux stimulus du plaisir qui entraient en concurrence lors de ces séances culturelles appelées majâlis (boissons enivrantes, corps attrayants, musique, cadre etc.) et en tant quel tel devrant plus faire l'objet des anthropologues et des médecins que des historiens de l'art.

Le langage et le style des albums (chapitre 4) était celui de la littérature persane contemporaine, utilisant les mêmes lieux communs et n'accordant que peux d'attention à l'innovation (une anthologie de l'univers littéraire évoluant autour de l'écriture et de la peinture peut être consulté dans les ouvrages d'Annemarie Schimmel, particulièrement dans Calligraphy and Islamic Culture). La forme et le contenu évoluent par des infimes dérives, de l'ordre de la combinatoire renouvelée avec chaque vague successive de textes. C'est un des souhaits de Roxburgh de nous faire admettre la validité de cette psychologie du kaléidoscope, de l'auto-reférentialité et du langage suggéré comme forme de l'histoire de l'art, lorsqu'on désespère en cherchant dans l'Iran médiéval les mêmes comptes rendus et inventaires détaillés de la vie et de l'œuvre des artistes que peuvent nous livrer les archives européennes ou extrême-asiatiques.

L'histoire de l'histoire de l'art transmisse par les préfaces (chapitre 5) trouve ses racines dans les ouvrages de biographie (tabaqât), les traités de technique calligraphique et les manuels d'épistologie (inshâ'). L'histoire de l'art persane est basée à l'époque sur la généalogie maître-étudiant, l'histoire des oeuvres se confondant avec celles de leurs auteurs. Ceci - nous apprend l'auteur - est son but même : être le "mémorial" du non-oubli des calligraphes et peintres, de leurs caractère et leurs vies. Car finalement, l'esthétique calligraphique et picturale, n'était qu'une extension des concepts éthiques.

Dans le 6e chapitre, la préface de Dust Muhammad est analysée à la lumière des points expliqués précédemment, menant à la conclusion qu'elle est une création solitaire, plutôt que typique des histoires de l'art persanes, contrairement à ce qui fut admis jusqu'à il y a peu par les historiens de l'art islamique, à défaut d'autres sources publiées.

Si par le même style qui permet à l'auteur d'être concis en se défaisant de manières encombrantes il ne fait pas toujours profiter la grâce du mouvement, une des plus belles images du livre se trouve dans ce chapitre, lorsque Roxburgh compare l'éparpillement au long de l'album compilé par Dust Muhammad des miniatures du peintre Ahmed Musa sur le sujet de l'ascension du prophète Muhammad à travers les sept cieux jusqu'au trône divin (le mi'arâj), à l'ascension elle-même, de calligraphie en calligraphie, d'une station de la perfection vers une autre supérieure, jusqu'au stade de la béatitude complète safavide.

La surprise du livre sera pour beaucoup le fait que n'il n'y a que peu de différences entre les préfaces et les autres types d'écrits persans évoquant les artistes - pour y accéder inconsciemment on s'est servi de préfaces comme moyens d'introduction... Sauf que les préfaciers doivent êtres brefs - donc faire des choix parmi les sujets, les personnes et les qualifications mentionnées et ainsi 'dévoiler', comme dit Roxburgh, par le non-dit, leurs sympathies et leurs idées. C'est dans sa brièveté contraignante que réside toute l'individualité de la préface.

Île d'Hormuz, Golfe persique - Novembre 2001